Steeve Symithe (à gauche) montre le sismomètre Raspberry Shake installé chez M. Pierre Guild Mezile (à droite), hébergeur volontaire, dans la ville haïtienne de Jérémie. Crédit: Éric Calais

This is an authorized translation of an Eos article. Ceci est une traduction autorisée d’un article d’Eos.

En août 2021, un tremblement de terre dévastateur d’une magnitude de 7,2 a déchiré la péninsule de Tiburon, en Haïti. Les stations sismiques conventionnelles les moins éloignées se trouvaient à 120 kilomètres de l’épicentre, bien trop loin pour capturer l’information sismique en champ proche, ce qui est important pour bien comprendre la secousse principale et la séquence de répliques qui suivent. Par chance, à ces stations venait s’ajouter un réseau de petits boîtiers appelés des sismomètres Raspberry Shake (RS) discrètement placés chez des particuliers.

Steeve Symithe (à l’arrière) et deux étudiants de l’Université d’État d’Haïti téléchargent les données d’un sismomètre conventionnel. Contrairement aux appareils « Raspberry Shake », ces stations ne sont pas connectées à l’Internet et nécessitent des téléchargements manuels de données. Crédit: Steeve Symithe

Le Raspberry Shake se vend à un coût très inférieur à celui d’un sismomètre conventionnel. Comme l’explique Eric Calais, géophysicien à l’École normale supérieure, à Paris, l’appareil se connecte facilement à l’Internet (contrairement aux autres sismomètres, qui peuvent requérir un téléchargement manuel de données). Eric Calais est l’un des chercheurs qui ont contribué à lancer ce projet en 2019, en collaboration avec l’Université d’État d’Haïti. L’équipe a démontré l’utilité de ce sismomètre dans un article publié récemment dans la revue Science.

Après avoir capturé la secousse initiale, le réseau a téléchargé les données en temps réel dans une banque de données en ligne. Les jours qui ont suivi le tremblement de terre, Steeve Symithe a bravé les répliques, les risques liés aux gangs et une tempête tropicale pour aller installer trois autres Raspberry Shake et 12 capteurs sismiques conventionnels près de l’épicentre du séisme. Les appareils supplémentaires permettaient de fournir des données au réseau afin de mieux prévoir les répliques qui suivent le tremblement de terre.

Le plus important: l’effort communautaire

Dans les endroits où l’activité sismique est importante et où les ressources de l’État ne suffisent pas à entretenir les stations sismiques conventionnelles, un réseau fiable et géré par la population est une alternative séduisante. C’est Emily Wolin, gestionnaire de réseau au laboratoire sismologique de l’USGS (United States Geological Survey) à Albuquerque, qui nous l’explique. Elle n’a pas participé à ce projet en Haïti, mais elle évoque un programme similaire mis en place au Népal : « Je trouve que ce genre de projet est un excellent moyen de pratiquer la sismologie sur le terrain malgré toutes les contraintes qui existent dans le monde réel. C’est incroyable de pouvoir obtenir toutes ces données. »

Par ailleurs, elle a pu constater des problèmes lors de projets de développement international, quand, après un séisme, des organisations extérieures fournissaient de nouveaux instruments et des systèmes de surveillance. « On aime tous venir participer, construire de nouvelles choses. », précise-t-elle avant d’ajouter : « Après, c’est beaucoup plus difficile de convaincre des organismes de financement de continuer à payer la télémétrie et la maintenance. » En revanche, pour le réseau en Haïti, le développement et l’entretien sont pris en charge localement. Il s’articule autour d’un travail d’équipe qui réunit le public et les scientifiques – une collaboration que Steeve Symithe et Eric Calais espèrent voir se renforcer.

Plus que des instruments, tout un réseau sismique

Pour Eric Calais, maintenant que la recherche a démontré la fiabilité du réseau sismique avec les appareils RS, l’objectif suivant est d’aider la population à devenir ambassadrice du risque sismique en Haïti. Grâce à des sociologues, l’équipe de sismologues a pu fournir des informations importantes aux particuliers qui hébergeaient un Raspberry Shake. Désormais, ces experts vont continuer à prêter main-forte aux participants.

« Un réseau sismique est [composé non seulement] de capteurs, mais aussi de gens. »

Il est vital de comprendre les personnes impliquées dans votre projet. C’est l’avis de Laure Fallou, sociologue au Centre sismologique euro-méditerranéen, qui a concouru à élargir le projet au-delà de la sismologie. Avec ses collègues, elle a conduit des entretiens d’hébergeurs pour évaluer ce qu’ils attendaient de la recherche et du projet même. L’équipe a ainsi contribué à ce que les données sismiques ne fassent pas oublier le contexte culturel du travail.

« Un réseau sismique est [composé non seulement] de capteurs, mais aussi de gens », avance Laure Fallou. « Nous avons vraiment créé un réseau d’individus et de capteurs qui œuvrent ensemble pour réduire ne serait-ce qu’un petit peu le risque sismique. »

« Cette fois, deux jours après l’événement principal, ce sont les scientifiques locaux qui ont fait le même travail sur le terrain. »

Ces données ont également pu éclairer les mesures politiques de demain. Celles du séisme d’août ont montré que les mouvements de terrain ne convenaient pas aux codes de construction en vigueur. En effet, ceux-ci avaient été rédigés à la va-vite après le tremblement de terre dévastateur de 2010 et reposaient sur les données issues des stations sismiques régionales alors disponibles. Douze ans après, le réseau communautaire fournira des données plus précises pour les améliorer.

« Après le séisme de 2010, nous avons dû compter sur la venue de chercheurs internationaux pour nous expliquer ce qu’il s’était passé, dit Symithe, mais cette fois, deux jours après l’événement principal, ce sont les scientifiques locaux qui ont fait le même travail sur le terrain. C’est un progrès énorme. »

—Fionna M. D. Samuels (@Fairy__Hedgehog), Journaliste scientifique

Text © 2023. The authors. CC BY-NC-ND 3.0
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